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Claire Olivès
© Alfredo Piola

Le destin totémique de Claire Olivès

La couleur en manifeste, le design d’objets et mobilier en mode de vie, le made in France en gage de qualité, claire olivès est en auto-édition depuis 2017.


C’est dans son lieu de vie, à la fois atelier et show-room, qu’il faut venir dénicher le talent de Claire Olivès. Dans cette caverne d’Ali Baba contemporaine, vaste et lumineuse, s’entrelacent ses meubles intimes et ses dernières créations pour former un kaléidoscope de formes et de couleurs. Ce foisonnement, assez ordonné, s’offre comme un paysage domestique total, une vaste nature morte où tous les objets se complètent ou s’opposent, réagissent entre eux.

Quatre saisons

Quatre tables basses, aux surfaces limpides, attirent l’œil. Leurs plateaux en verre, telles des taches de lumières, sont imprimés de motifs chromatiques sur fond blanc. Ils sont encastrés dans quatre pieds en bois tourné, aux teintes et volumes différents. Ces tables symbolisent les Quatre saisons. Couleurs citron, vert tendre et noir pour un printemps naissant, framboise d’un soir d’été, rouge-orangé ardent de l’automne et bleu-violet pour un hiver gelé. Ces pièces aux narrations abstraites servent un design arty, qui reste fonctionnel.

Sieste indienne

Autour de ces tables à l’effet liquide, des banquettes, un peu comme des charpoys indiens, mates, sombres, plus mystérieuses. Leurs assises, des cadres tendus de sangle tissée en polyester et fil de chanvre, forment partiellement des damiers. Pour les pieds, des piles de différents modules en bois tourné ou laqué. Le noir et le brun du bois naturel, agrémentés de quelques touches laquées de turquoise, de rouge ou de blanc. On s’y assied ou s’y allonge à 30 cm du sol.

Lumières

Pour éclairer tables et assises, des lampes à poser, plantées au sol ou la tête en l’air, font la ronde. Leurs bases, en bois tourné et laqué, sont d’autres combinaisons de volumes et de couleurs. La Mimikko à tête ronde fait retomber en enfance et redonne envie d’enfiler des anneaux colorés sur un axe. La Vikky monochrome est construite selon le principe d’une pyramide. La Mir, rouge et blanc, reprend la signalétique d’une balise de sécurité. La Mikko élève anneaux et cylindres pour former une mini-tour. La Bipolaire de forme hexagonale, en medium laqué et placage de Palissandre des Indes, adopte en façade, un interrupteur surdimensionné singulier. Tous les globes de ces luminaires sont blanc mat, en verre soufflé, équipés de led. Ces lampes ont été exposées au Bon Marché en 2020.

Mais qui est Claire Olivès, pas née de la dernière pluie ? Elle qui semble faire des pieds de nez aux totems d’Ettore Sottsass (dont les moulins à épices Alessi), elle qui reconstitue un effet Pop Art éclatant ou un univers plus intériorisé et méditatif ! Il y a dans tout cet ensemble les traces de son passé. Dont l’aventure la plus marquante est Totem, le groupe créé à Lyon en 1980 par quatre jeunes ébénistes dans une ancienne boulangerie. Totem qui a redessiné le design français de 1980 à 1988. (1)

Claire Olivès fut donc la « fille » de cette joyeuse bande aux côtés de Jacques Bonnot, Frédérick du Chayla, Vincent Lemarchands. Elle quitte le groupe en 1986. S’installe alors à Paris, et multiplie les expériences : elle sera créatrice de chaussures, puis de tapis et de papiers-peints. En 1995, elle bifurque vers l’infographie, le « design de l’information » et le graphisme qui la mèneront à Libération de 2010 à 2014. Et voici qu’en 2016 cette touche-à-tout revient vers le design d’objets. Avec tout son univers sédimenté de couleurs, de formes, de réminiscences et de connaissances. –

Anne-Marie Fèvre


Interview

Qu’est qui vous pousse à revenir vers le design ?

Une envie viscérale d’un retour aux sources, avec trente-cinq ans d’expériences diverses. Et avec la maitrise des outils numériques, qui me permettent d’aller plus loin plus vite dans mes recherches. Je mets en scène mon travail avec de petites animations 2D. Tout est plus fluide.

Les leçons de Totem ?

Je ressens toujours la très grande liberté que nous avions dans le groupe, liberté d’explorer, expérimenter… Je garde mon rapport à la couleur, mais enrichi par la découverte d’artistes fabuleux, comme l’Argentin Julio Le Parc, ou la Britannique Bridget Riley. Mais aussi les théoriciens de la couleur du Bauhaus, comme Johannes Itten ou Joseph Albers, ou encore Malevitch de l’Avant-garde russe. Et j’ai toujours le goût du jeu, comme avec la lampe Bipolaire, ou la référence décalée, comme avec la Mir.

Vos banquettes reflètent une autre influence ?

Oui car depuis, j’ai découvert le Japon ou plus largement l’Asie. Les assises basses, c’est une envie de se rapprocher du sol, s’allonger, méditer ou tout simplement se détendre mais en restant tonique. Des pièces plus minimales, des masses sombres, animées de touches de couleurs.

Les tables basses sont encore d’une autre facture ?

C’est le même principe de fabrication que les banquettes avec en plus un travail sur le verre. Je n’avais jamais travaillé le verre, une surface à reflets. J’ai décliné des bandes couleurs chromatiques, basées sur chaque saison. C’est le film coréen de Kim Ki-Duk, Printemps, Été, Automne, Hiver, qui m’a inspiré. Les saisons rythment nos vies et je voulais créer un lien poétique. Ces tables permettent de manger assis par terre, à la japonaise, ce que j’adore.

L’unité dans votre travail c’est le bois tourné.

Pour le moment oui. A l’âge de 20 ans, j’ai reçu un apprentissage très classique de l’ébénisterie, façon tenons-mortaises. Je reste fidèle au bois, parce que c’est une matière vivante et noble, et à l’artisanat pour le côté pièce unique. Le « défaut unique » je dirais. Mais je ne connaissais pas le bois tourné. Je l’ai découvert grâce à un artisan tourneur-sur-bois à Romainville qui est devenu mon fabricant. Je me permets tous les jeux avec le bois tourné, des luminaires aux piétements. Bois laqué, mat ou brillant, bois naturel, pour des combinaisons de différents volumes et des jeux de finition. C’est ma marque de fabrique, ma signature. Ce sont des pièces en petite série, ou parfois uniques.

Quels sont vos autres projets ?

Je viens d’expérimenter l’impression 3D, avec une collection de six petits meubles, la collection Élémentaire, réalisés à échelle réduite. Tous blancs, avec des tiroirs couleur de formes géométriques fondamentales : cercle, carré et triangle. Les bases sont parfois constituées de simples cubes, dont certains sont basculés ou désaxés. C’est un travail sur l’équilibre des formes et des volumes. Ici, pas de bois tourné. J’aimerais beaucoup les développer.-

Propos recueillis par AMF

1- La table Totem Exquis figure dans la collection du MAD, musée des Arts décoratifs de Paris. À voir dans l’exposition « Les années 80. Mode, design et graphisme en France » jusqu’au 16 avril 2023